J'ai une excellente mémoire. Je sais pas trop pourquoi ni comment, mais ça a toujours été comme ça.
Je répète beaucoup, j'aime dire plein de fois la même chose à des tas de personnes différentes, ça doit
être ma manière de l'entretenir. Je ne m'imagine pas sans une bonne mémoire. Et pourtant c'est une
bénédiction et un fardeau.
Une bénédiction, car ça me permet d'aller plus vite, de faire le
lien plus rapidement. En prépa, par exemple, j'ai travaillé beaucoup plus efficacement, j'ai pu faire autre
chose de mes journées. Mon père me dit qu'en bossant plus, j'aurais pu intégrer une meilleure
école. Peut-être, mais sans mes plages de repos, je me serais étiolé et ça n'aurait pas
été bon pour les concours.
C'est aussi un fardeau car j'ai toujours plein de trucs qui se baladent dans ma tête
en permanence. Mais ça me déplait pas trop, j'ai dû m'y habituer ou m'habituer à ne pas
pouvoir m'en passer. Le plus dur, en fait, c'est quand je me rappelle quelque chose
qui m'a fait mal (que j'ai fait ou subi). Parce que je sais que ça ne partira pas.
Parce que je ne veux pas que ça parte, sinon tout pourrait partir et une personne sans
ses souvenirs, qu'est-ce que c'est ? Pas grand chose. La mémoire, c'est tout ce qui nous relie aux gens
qu'on a croisés, aimés ou détestés, morts ou en vie. Le film de Zabou Breitman
"Se souvenir des belles choses" montrait cela : l'importance de la mémoire.
Je n'aime
pas me rappeler ce qui me fait souffrir, surtout quand ce sont des actions que j'ai commises.
C'est pour ça que je cogite beaucoup, je sais que ma décision risque de peser, et parfois lourdement.
J'analyse une situation avant de me lancer et dans le doute, je m'abstiens, le plus souvent.
Je veux pas me dire "si j'avais su" alors que j'avais tous les éléments pour juger. Parfois,
les éléments changent entre le moment où ils se présentent et après. C'est la vie. Dans ce cas,
je n'ai rien à regretter, j'ai fait au mieux, je ne suis pas devin.
Si ma mémoire
me pèse autant c'est aussi à cause de mon ego, je sais que j'ai une haute opinion de moi-même
et je ne veux pas me décevoir, me trahir. Parce que, les moments où je ne suis pas fier
de moi, je ne peux pas les oublier.
Et pourtant, j'ai expérimenté l'oubli, il y a peu. C'est très agréable en fait. J'étais à mon boulot
avec un collègue, il était 11h30 et je lui dis au milieu de la conversation "on est mardi?" On était
mardi, j'avais une réunion (où j'étais plus spectateur qu'acteur, il faut le dire) à une demi-heure de
mon lieu de travail, dans un autre établissement à 11h. Ca m'était complètement sorti de la tête.
Après consultation de mon collègue, j'ai envoyé un mail à l'organisateur : "désolé, j'ai pas pu
venir, j'ai eu une urgence. Désolé aussi de ne pas avoir prévenu plus tôt". Oui, j'ai menti, j'allais
pas dire ce qui s'était réellement passé, non plus (et bizarrement, ça ne me fait pas culpabiliser,
qui a dit qu'on devait se comporter dans sa vie professionnelle comme avec ses proches ? je ne fais de
mal à personne, je me protège, c'est très différent).
Je crois que ça m'est arrivé à un autre moment mais j'ai oublié (ironique, non ?).
Et là, j'ai pensé aux Lothophages de l'Odyssée d'Ulysse : si tu ne connais pas Toikimeli,
ils proposent aux compagnons d'Ulysse de manger la fleur de lotus (Lothophages ="mangeurs de
lotus"), car elle fait perdre la mémoire et amène donc le bonheur. C'est exactement ça, j'étais
heureux, sûr de n'avoir rien oublié quand je suis allé voir mon collègue.
On dit (j'ai cherché qui mais je n'ai pas de réponses fiables) que "les peuples heureux n'ont
pas d'histoire", peut-être parce qu'ils n'ont pas d'événements répertoriés, pas d'histoires,
donc pas de faits tragiques à se remémorer. Rien de grave ne s'est passé, alors pourquoi s'en faire, pourquoi
regretter ce qui ne s'est peut-être pas (vu qu'il n'existe pas de traces) passé?
Je l'aime bien ma mémoire, faut pas qu'elle me lâche. Si je me rendais compte que je suis en train perdre
mes facultés mentales (et celle là en particulier), je ne sais pas ce que je ferai.
Les esprits volontaires,
ceux qui ne jurent que par le futur, trouveront que je donne trop de poids au passé. Tant mieux pour eux s'ils
peuvent avancer sans savoir ce qui était fait avant. Pour ma part, je trouve très prétentieux de faire comme
si rien n'avait existé
avant.
Je ne suis pas prisonnier du passé, de mes souvenirs, je vis avec, pas dedans. Sans ce passé, je
sais que je ne suis pas le même. Car dans ma mémoire, je retrouve mon enfance, celle où "l'on balbutie
des "Je t'aime pour la vie"", où l'on pense que tout est simple. J'y croise aussi des fantômes, ceux qui
ont comptés pour moi, "qui veillent sur
ceux qui les aimaient". J'y vois aussi plein d'autres personnes, d'autres moments, d'autres lieux. Je ne veux
pas oublier, ce serait une forme de trahison pour tout ce que j'étais, pour tout
ce que je suis. Ma mémoire, même si elle est des fois un peu pesante, si elle me fait porter une culpabilité pour
certains de mes actes, me permet de vivre tout simplement. Faudrait pas l'oublier quand même!
Note du 14 février 2005 : Waouh, j'aime beaucoup même si je trouve la fin un peu "facile" en fait. Rien à rajouter, à part que le fait que je fasse un "retour en arrière" montre combien ce que j'ai écrit est toujours vrai pour moi. Une entrée importante pour me comprendre, je crois.
Commentaire(s) :
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