Hier, je me suis penché sur le passé de ma famille (d'une partie de ma famille en fait) et j'ai adoré ça!
Tout d'abord, je suis allé au Musée de l'Homme. Pour plusieurs raisons : c'est un musée que j'aime bien, il est assez vieillot (pas autant que les pièces exposées mais pas loin), il est uniquement en français (sauf les expositions récentes, le bilinguisme est devenu la norme et ce n'est pas plus mal), tout ça donne un côté assez inimitable, ancien, respectable, suranné, désuet (j'arrête les adjectifs, d'accord). Et puis, il est en train de fermer, une bonne partie des galeries est déjà en travaux, le reste (sauf les expositions) suivra courant avril. Il ne réouvrira (et encore seulement une partie, si j'ai bien compris) Quai Branly qu'en 2006. C'est triste, ce vieux musée agonisant! Mais j'y allais aussi pour une autre raison. Je t'explique : quand j'étais petit, il y a un peu plus de vingt ans, je suis allé avec mon père au Musée de l'Homme. C'était à l'automne 1981, j'en suis quasi sûr. Ne t'extasie pas sur ma mémoire, Toikimeli, on m'avait acheté l'affiche de l'expo d'alors (qui se terminait en avril 1982) et elle est encore accrochée dans ma chambre chez mes parents (je sais, moi et la décoration d'intérieur, ça fait au moins deux). J'ai un bon souvenir de cette visite, du petit resto dans lequel on avait mangé après, du temps venteux et pluvieux... Je suis sûr que sans l'affiche, j'aurais oublié plein d'éléments de cette journée. Avec mon père, j'avais cherché (et trouvé) la peinture faite par mon arrière-grand-père (enfin pas vraiment mais c'est compliqué, une autre fois les détails), artiste peintre qui faisait des travaux de commande.
Je voulais vérifier si la toile était encore là, avant le déménagement du musée. Malheureusement, je ne me souvenais plus dans quelle section elle était placée. Mon père disait : "Océanie", moi je penchais plutôt pour l'Afrique Australe. Hier, j'ai arpenté le musée en vain. Je n'ai pas fait que chercher le tableau, j'ai regardé les oeuvres exposées (et j'étais venu, dix ans plus tôt avec mon correspondant allemand, je me souviens, mais juste pour l'expo temporaire, qui est toujours là). Et puis au second étage, après la section arctique, j'ai vu un escalier qui descendait (vers une partie en travaux donc interdite d'accès). Et là, je me suis souvenu qu'en bas de cet escalier, le tableau était là (ou un autre élément qui m'a marqué, en fait). J'ai parlé avec un guide qui m'a dit "Ah bah ouais mais bon", en gros "c'est fermé, revenez en 2006". J'ai retenté au rez-de-chaussée, le guide était beaucoup plus sympathique. Le tableau ne lui disait rien (et il travaille là depuis 1976), faut dire que, ne connaissant pas la section exacte, ça ne l'a pas aidé. Pour lui, il se peut que le tableau ait déjà été bougé ou ait été décroché depuis pas mal de temps (mais il n'était pas dans une exposition temporaire, j'en suis sûr). Comme tout ne pourra pas être exposé Quai Branly (d'où un certain mécontentement, des grèves l'année dernière et une pétition pour le ministre), il y a un risque que "mon tableau" (comme disait le guide) soit mis en vente. Je lui expliqué que ce n'était pas "mon" tableau puisque c'était une oeuvre de commande, mais bon, je suis parti bredouille, en signant la pétition quand même (on sait jamais, s'il était exposé Quai Branly, oui je sais, c'est un peu égoïste comme motivation).

Ensuite, je suis parti pour l'autre bout de Paris voir Adrien (et sa femme bien mal en point, elle est restée à "écouter un livre" sur des cassettes audio).
Pour que tu comprennes, Toikimeli, il faut que tu en saches un peu plus sur ma famille. J'ai eu la chance d'avoir beaucoup de parents (je ne fais pas partie d'une famille nombreuse), pendant une assez longue période. J'ai connu cinq arrière-grands-parents (dont deux sont morts alors que j'étais encore petit) et mes quatre grands-parents. Et puis, à partir de 1989, ça a été l'hécatombe, sur une courte période. Certains décès, on les voyait venir, d'autres non. Aujourd'hui, ils sont tous morts et je me dis ironiquement que ce n'est pas grâce à moi, que mon enfant aura des arrière-grands-parents en vie. Peu des proches de mes grands-parents sont encore de ce monde (ou sont encore en contact avec nous), à part Adrien. Ca faisait quelque temps que je me disais qu'il faudrait que j'ose l'appeler pour avoir sa vision des faits, des événements de 1930 à 1950 (la partie qu'il est le seul à connaître), mais c'était une pensée fugace, que je mettais vite de côté. Et puis, vers juin 2002, je crois, le fils d'Adrien est venu manger chez mes parents avec des voisins. Mes parents les avaient invités car, étrange coïncidence, ils travaillent ensemble. Le fils d'Adrien nous a dit entre autres : "quand on est jeunes, on se moque du passé, mais en vieillissant, on se rend compte qu'on a plein de questions à poser et qu'il est souvent trop tard". Cette phrase m'a trotté dans la tête régulièrement depuis, sans que j'agisse pour autant.
Et puis, il y a quelques semaines, en écrivant à une diariste sur la mémoire, le passé... (mes mails sont souvent d'une hauteur philosophique insoupçonnée ou dérivent dans une longue tartine qui n'a rien à voir avec le sujet initial), Adrien m'est revenu en mémoire et j'ai décidé de l'appeler. Merci à toi pour ce déclic. Adrien a plus de 80 ans, est en bonne santé et je m'en voudrais s'il décédait bientôt sans avoir pu lui parler (c'est encore égoïste? Tant pis). Je l'ai contacté la semaine dernière en lui expliquant la raison de mon appel. Il m'a cordialement invité à venir hier.

Je suis resté plus de quatre heures chez lui. Il est en train de rédiger à la demande de sa famille (son fils je suppose), son autobiographie et une partie parle de ma famille (nous sommes assez éloignés d'un point de vue généalogique). Pendant tout ce temps, il m'a dit ce qu'il savait, je lui ai donné les quelques éléments que je connaissais, on a comparé nos versions... Mes parents avaient préparé le coup et m'avaient confié plein de vieilles photos. Il a pu identifier la plupart des personnes et des lieux. Ca fait bizarre de voir un vieux monsieur de plus de 80 ans dire "là c'est moi" sur une photo de 1947 où il a mon âge. En revanche c'est drôle de l'entendre dire "Celle là, c'était une belle garce mais c'est pas la peine d'écrire ça au dos de la photo". Il a aussi traduit des documents et des légendes de photo du russe au français. Je ne raconterai rien de ce que j'ai appris (c'est prévu mais pour un peu plus tard), je suis parti dans la soirée avec mes notes, ses arbres généalogiques, les photos annotées, pas mal d'histoires en tête et des boulettes à la russe. Finalement, ce n'était pas si égoïste que ça : il avait l'air ravi de "passer le flambeau". Au pire, c'était égoïste pour deux personnes! En rentrant, j'ai appelé mes parents pour leur raconter les principaux éléments nouveaux que j'avais en ma possession. La journée d'hier s'est mieux terminée qu'elle n'avait commencée, heureusement. Merci Adrien pour toutes ces infos qui permettent de rendre un peu plus vivantes toutes ces personnes de mon passé.